Idées voyage

Corse vs Sardaigne : le match en 5 rounds

Corse vs Sardaigne : le match en 5 rounds

Elles se font face, à quelques encablures de ferry, séparées par le détroit de Bonifacio, comme deux sœurs fières et insoumises. L’une parle son français, l’autre chante son italien. L’une vit haut perchée, l’autre s’étire paisiblement vers ses plages oubliées. Deux destinations aux accents bien trempés, modelées par les vents, la mer et les siècles. Ici, le voyageur ne choisit pas entre farniente et aventure, mais entre deux âmes méditerranéennes, aussi différentes qu’envoûtantes. Corse ou Sardaigne ? L’éternel dilemme du cœur : maquis indompté ou douceur des piazzette, criques secrètes ou charme solaire de la dolce vita.

 

Duel balnéaire en Méditerranée

Le premier frisson du voyage, souvent, c’est celui de l’écume. En Corse, les plages sont des joyaux taillés à même la roche : Palombaggia et ses pins parasols couchés sur un lagon turquoise, Saleccia et sa blancheur sauvage dans le désert des Agriates, ou encore la crique du Lotu, accessible uniquement à pied ou en bateau, gardent leur part de mystère et préservent une nature farouchement intacte. Ici, le sable est blond, souvent cerné de roches rosées, et la mer, cristalline, semble respirer au rythme du maquis. Le vent s’y fait parfois complice, parfois rebelle, mais toujours chargé de sel et de parfums de lentisque et d’immortelle.

La Sardaigne, elle, joue la carte du contraste. Les plages du sud, autour de Chia ou Villasimius, exhibent un sable d’un blanc presque polynésien et d’une finesse à faire pâlir les dunes d’Essaouira. La Costa Smeralda, joyau (et parfois vitrine) du nord-est, aligne des criques confidentielles, encadrées par des blocs de granit usés par le vent et l’écume. Cala Luna, Cala Mariolu, Cala Goloritzé : autant de noms qui chantent déjà l’évasion, le masque et le tuba. Mais la Sardaigne ne se contente pas de jouer les belles endormies : planche à voile, kitesurf, paddle, voile… Ici, la Méditerranée est un terrain d’aventure.

Paola+Murray/Gallery Stock

 

Entre maquis et piazzette

À Bastia, les volets grincent, les façades s’effritent avec panache et le baroque s’invite entre deux palmiers. La ville regarde vers l’Italie tout en se revendiquant fièrement Corse, avec son vieux port animé, sa citadelle et ses cafés où l’on sert le pastis avec la même solennité qu’un vin de garde. Ajaccio, de son côté, joue la carte impériale, entre musées napoléoniens, plages en centre-ville et marchés animés aux parfums d’herbes sèches. Porto-Vecchio, avec sa citadelle posée sur la mer, mêle farniente chic et traditions marines. Et que dire de Bonifacio ? Suspendue au-dessus des falaises, face à la Sardaigne, elle semble garder la mer comme une vigie millénaire.

En face, la Sardaigne offre un autre tempo. Cagliari, capitale en terrasses, suspendue entre le passé et la mer, invite à la flânerie. Les ruelles du Castello montent et descendent comme une mélodie, ponctuées d’églises baroques, de patios secrets et de chats qui se prélassent au soleil. Alghero, ancienne colonie catalane, mélange allègrement les styles, entre balcons andalous, langue sarde et accents ibériques. À Bosa, le temps s’égare le long des rives du Temo, où les maisons colorées se reflètent dans l’eau. Castelsardo, perché sur son promontoire rocheux, offre une carte postale immobile, avec vue sur le golfe de l’Asinara. Ici, on prend le temps d’observer les gens, de discuter sur un banc ou de regarder les anciens jouer aux cartes.

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Entre figatellu et culurgiones : voyage au bout du goût

Si la Corse cultive un art de la table aussi robuste que généreux, c’est qu’elle puise dans sa terre, ses élevages et ses savoir-faire une identité farouche et authentique. Le figatellu, saucisse de foie fumée, se savoure grillé au feu de bois, souvent à l’ombre d’un châtaignier, accompagné de pain de campagne et de vin rouge corsé. Le brocciu — ce fromage frais de brebis ou de chèvre — s’invite aussi bien dans les omelettes du maquis que dans les desserts comme le fiadone, cousin méditerranéen du cheesecake. Affinée lentement dans les caves des villages perchés, la charcuterie est une véritable fierté locale. Plus discrètes mais tout aussi typiques, les confitures d’arbouse ou de myrte viennent adoucir les petits matins, en nappant délicatement le pain beurré.

La Sardaigne, non moins savoureuse, déroule un éventail de spécialités qui respirent la tradition. Les culurgiones, petits chaussons aux pommes de terre, menthe et pecorino, sont sculptés à la main avec patience — et mangés avec ravissement. Le porceddu, cochon de lait rôti à la broche, crépite dans les campagnes lors des fêtes familiales. Les pane carasau (galettes croustillantes), les fromages comme le pecorino sardo ou le mystérieux casu marzu (au goût, disons, évolutif), les miels d’arbousier, les liqueurs de myrte : tout ici évoque la rusticité noble d’une cuisine terrienne, généreuse et sans fard. Et puis, il y a le vin : le cannonau, puissant et solaire, ou le vermentino, sec et iodé, compagnon idéal des poissons grillés.

 

Mémoires insulaires : orgueil corse, racines sardes

La Corse porte ses héros comme des totems : Pascal Paoli, le père de la nation, ou Napoléon, enfant d’Ajaccio devenu empereur. Les chants polyphoniques résonnent encore dans les églises romanes, les couvents ou les fêtes villageoises, tandis que les maisons de granit gardent la mémoire des anciens. Ici, la langue est un combat, la culture une arme douce. Et même si l'île s’ouvre volontiers aux visiteurs, elle ne se donne jamais tout à fait. Ici, on avance à petits pas, on écoute avec les yeux, on comprend avec le cœur. Et l’île, parfois, entrouvre un pan de son mystère.

En Sardaigne, l’histoire remonte encore plus loin. Les mystérieuses tours nuragiques, construites entre 1800 et 500 av. J.-C., parsèment le paysage comme des sentinelles de pierre, vestiges d’une civilisation aussi ancienne que méconnue. L’île fut tour à tour phénicienne, carthaginoise, romaine, byzantine, espagnole. Chaque époque a laissé sa trace : églises aux fresques médiévales, traditions carnavalesques comme celles de Mamoiada, où les masques Mamuthones perpétuent une mémoire archaïque et puissante. Le sarde, langue officiellement reconnue, est encore parlé dans de nombreux villages. La Sardaigne cultive l’art de ne pas en faire trop. Elle avance à pas feutrés, mais laisse une empreinte indélébile.

Julia Nimke

 

Des cimes aux abysses : nature à l’état brut

La Corse, montagne dans la mer, se parcourt à pied, sac sur le dos. Le GR20, mythique, serpente entre crêtes et forêts, réserve des nuits d’auberge, des levers de soleil sur les nuages et des jambes courbaturées, mais heureuses ! L’île propose aussi des randonnées plus accessibles, comme la vallée de la Restonica, les lacs Capitello et Melo ou encore les aiguilles de Bavella, cathédrale minérale dressée vers le ciel. Les rivières cristallines invitent à la baignade et à la fraîcheur. Dans les forêts profondes, les sangliers tracent leur route, les renards se faufilent et les faucons planent dans le ciel. Au large de Scandola ou des Lavezzi, les plongeurs s’immergent dans un autre monde : falaises sous-marines, jeux de lumière et silence minéral.

La Sardaigne, plus vaste, déploie un éventail naturel prodigieux : dunes géantes de Piscinas, grottes marines de Neptune, gorges de Su Gorropu (parmi les plus profondes d’Europe), forêts de chênes-lièges peuplées de cerfs sardes, îles désertes comme Tavolara ou l’archipel de la Maddalena. Le parc national du Gennargentu protège des panoramas lunaires, traversés par des bergers, des brebis, des faucons pèlerins. C’est un paradis pour les amateurs de VTT, d’escalade, de voile ou de spéléologie. Et sur la côte, la mer reprend ses droits, dans une transparence hypnotique, abritant mérous, raies, barracudas et parfois même des dauphins qui glissent entre deux caps oubliés.

 

Verdict ? Match nul, le cœur partagé

Choisir entre la Corse et la Sardaigne, c’est comme tenter de trancher entre deux poèmes. L’une est rude et fière, l’autre ample et solaire. L’une se vit comme un défi, l’autre comme une étreinte. Mais toutes deux parlent aux âmes sensibles, aux amoureux du vrai, aux voyageurs exigeants qui cherchent plus qu’un paysage : une résonance. La Corse saisit, la Sardaigne enveloppe. La première se mérite, la seconde se dévoile. Et si le choix vous semble impossible — et il le sera sans doute — alors peut-être faut-il simplement conjuguer les deux.

 

Par

JÉRÔME CARTEGINI

 

Photographie de couverture : Glenn Souer/Unsplash.com Wirestock Creators/Adobe Stock