Egypte

Steam Ship Sudan, une vie de roman

Steam Ship Sudan, une vie de roman

Voici plus d’un siècle que ce vapeur croise sur le Nil. Un véritable monument flottant à bord duquel Agatha Christie a placé l’intrigue d’un de ses plus célèbres romans, aujourd’hui porté à l’écran dans une nouvelle version hollywoodienne. Cent ans après son lancement, le navire poursuit impassiblement sa route à travers l’Égypte et le temps. Embarquement immédiat.

 

Nul besoin de posséder le flair d’un Hercule Poirot pour identifier un best-seller signé Agatha Christie. La recette du succès est simple : un meurtre, une dizaine de suspects, un huis clos. L’importance de ce dernier élément dépasse le simple décor. Qu’il s’agisse d’un train mythique (Le Crime de l’Orient-Express) ou d’un bateau qui ne l’est pas moins (Mort sur le Nil), le lieu de l’intrigue est un personnage à part entière. Déjà porté à l’écran en 1978 (avec Peter Ustinov dans le rôle du détective), la dernière version de Mort sur le Nil, mise en scène et réalisée par le Britannique Kenneth Branagh (alias Poirot), respecte l’œuvre en situant la scène sur un steamer nommé Karnak. En réalité, ce bateau sorti de l’imagination de la “reine du crime” est inspiré de ses souvenirs en Égypte, et particulièrement d’un voyage à bord d’un navire bien réel : le Sudan.

vue du Steam Ship

Bastien Zanella

 

Un décor historique

Au début du vingtième siècle, le canal de Suez, percé à partir de 1859 et inauguré en 1869, offre aux voyageurs une nouvelle porte sur l’Orient. Le voyagiste Thomas Cook a alors l’idée visionnaire d’initier les premières croisières sur le Nil. À l’aube des années 1920, cette nouvelle façon de voyager séduit l’intelligentsia britannique qui se presse en Égypte pour admirer quarante siècles d’histoire et célébrer la douceur de vivre dans le protectorat. Après des débuts fructueux, Cook lance la fabrication d’une nouvelle flotte de steamers, plus performants, dont le Sudan deviendra l’étendard. Fabriqué en pièces détachées en Écosse, le navire est assemblé au Caire, avant d’être mis à l’eau en 1921. Si les archéologues sont les premiers à s’intéresser à l’Égypte – c’est à l’automne 1922 qu’Howard Carter met au jour la tombe de Toutânkhamon –, diplomates et intellectuels de tous bords se pressent à la découverte de la vallée du Nil. Une clientèle exigeante qui fait escale dans deux palaces des rives : le Winter Palace à Louxor et le Old Cataract à Assouan. Sur l’eau, les vapeurs fastueux prennent le relais. Le Steam Ship Sudan déroule un cadre qui rappelle à ses passagers celui de l’Orient-Express par lequel certains ont transité : bois laqué, cuivre, épaisses étoffes, tapis d’Orient et “assez de champagne pour remplir le Nil”.

vue sur le Nil

Bastien Zanella

 

De l’ombre à la lumière

Noël 1933, parmi les ladies et gentlemen qui trinquent sur le pont de teck, un couple se distingue : le jeune archéologue d’origine autrichienne Max Mallowan, 29 ans, et son épouse britannique, Agatha Christie, 43 ans, en chemin pour Abou Simbel. L’écrivaine, remarquée pour ses romans policiers bousculant les règles du genre, puise l’inspiration au gré de leurs voyages : Irak, Syrie, Mésopotamie et, cette fois, l’Égypte. Ses impressions du pays (elle est déjà passée par le Caire en 1907 avec sa mère), l’ambiance à bord du Sudan, les rencontres et une écriture ciselée donneront naissance à une nouvelle, puis finalement à l’un des plus grands whodunit du genre (de l’anglais “who done it”, “qui l’a fait”), publié en novembre 1937 au Royaume-Uni. Deux ans plus tard, la Seconde Guerre mondiale éclate et sonne le glas des voyages, notamment au Moyen-Orient. Le navire est mis à quai. Pendant plus d’un demi-siècle, il sombre dans l’oubli. Dans les années 2000, le Steam Ship Sudan est redécouvert par Voyageurs du Monde qui entreprend une minutieuse restauration afin de préserver son caractère d’époque. Remis à l’eau, le navire reprend alors ses croisières historiques entre Louxor et Assouan – poussant exceptionnellement jusqu’au Caire. Ses modestes dimensions offrant un abordage discret, il emmène, au rythme lent (9 km/h) de ses roues à aubes, les passagers à la rencontre des plus beaux sites de Haute-Égypte : Kôm Ombo, Karnak, la vallée des Rois, celle des reines… Il devient l’emblème de la marque.

 

chambre du SS Sudan

La nouvelle suite Odilo - Nathalie Belloir

 

Un esprit centenaire et dans l’air du temps

À l’opposé des mastodontes croisant sur le Nil, le Steam Ship Sudan se résume à une petite vingtaine de cabines et une poignée de suites. Parmi elles, la spectaculaire suite Agatha Christie, située à la proue, offre une vue cinématographique sur le fleuve et ses rives. Inaugurée début 2022, la suite 25, dite Odilo, rend quant à elle hommage à l’ingénieur à l’origine de la restauration du navire. Car si l’esprit originel perdure à travers les roues à aubes, dans la patine des ponts de teck et le lustre des cuivres, le bateau s’est offert une nouvelle jeunesse grâce à une mécanique qui utilise l’eau du Nil et l’énergie solaire. Deux ressources abondantes qui permettent de limiter la consommation de carburant. En réduisant ainsi son empreinte environnementale, le vapeur centenaire écrit un nouveau chapitre de sa longue histoire et s’inscrit parfaitement dans un nouveau scénario de voyage.

 

Par

BAPTISTE BRIAND

 

Photographie de couverture

ZOE FIDJI