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La Havane VS Carthagène-des-Indes : Le match en 10 rounds

La Havane VS Carthagène-des-Indes : Le match en 10 rounds

Direction Cuba ou bien la Colombie ? Dans ces deux pépites coloniales, les remparts, les palais ainsi que les habitants, témoignent avec brio de cinq siècles d’histoire. Elles partagent aussi un extraordinaire sens de la fiesta. A leurs trésors de pierre, voici qu’elles ajoutent les bonheurs de la convivialité, de la musique, de la vie. Alors, laquelle choisir pour un premier voyage ? La Havane où Carthagène-des-Indes ? Le match en dix rounds.

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Quand on arrive en ville

Pas le moindre souci pour se rendre à La Havane avec au moins un vol quotidien direct au départ de Paris. Il dure 9 heures et certaines promotions l’affichent autour de 500 euros l’AR. Attention quand même à la période des cyclones qui sont régulièrement dévastateurs, entre mi-octobre et mi-décembre, ce que les sites des compagnies ne précisent pas. Les Français qui entrent à Cuba doivent présenter un passeport en cours de validité ainsi qu’une « Carte de tourisme » obtenue avant le départ (27 €) auprès du consulat cubain. Elle est valable 30 jours. Arrivé sur place, il faut reculer sa montre de 6 heures. Penser à changer un peu d’argent (ou retirer au distributeur placé avant la sortie) pour assurer ses premières dépenses car officiellement, les euros pas plus que les dollars n’ont cours à Cuba. Même si en pratique, ils sont acceptés sans sourcilier. Mais discrètement. Une des bizarreries locales est que deux monnaies circulent en même temps : le Peso utilisé par les Cubains et le CUC réservé aux touristes. Le second est évidemment surévalué (presqu’un euro), rendant aux notes d’hôtel et aux achats un niveau presqu’occidental. Pas de souci pour trouver un taxi à l’aéroport Jose Marti, ils sont « officiels » et la tricherie n’est pas de mise ici. Compter 16 kilomètres, 30 minutes de route pour gagner le centre de la ville et une trentaine d’euros payés en autant de CUC. Parler un peu l’espagnol, la langue locale, sera un plus. Sinon, anglais.

Enfants dans les rue de la havane

Olivier Romano

Pour aller à Carthagène-des-Indes, faute de vol direct au départ de France, l’escale est obligatoire. En Espagne, aux Etats-Unis, au Mexique, à Bogota (capitale de la Colombie), etc. Compter une vingtaine d’heures de voyage, escale comprise et un budget un peu supérieur à 1 000/1 100 euros en classe économique. Le passeport valide 6 mois après le départ est exigé. Le décalage horaire est de 6 heures en hiver (midi en France, 6 heures le matin en Colombie). L’aéroport Rafael Nunez se trouve à deux pas du centre de la ville. En 15 minutes et pour 10 euros (prendre les taxis qui attendent devant la station officielle), l’affaire est entendue. La monnaie locale est le Peso. On en récupère environ 3 000 contre un seul euro. Oublier les pièces de monnaie. Nombreux bureaux de change et quelques distributeurs en ville. L’espagnol avec ses expressions d’Amérique Latine fait la langue locale.

Verdict : avantage La Havane

2

Premier coup d’œil

Aucune erreur possible, à Cuba comme en Colombie, on débarque sur une autre planète ! A La Havane (2,2 millions d’habitants sur les 11 millions que compte l’île), les façades décrépies ou les murs déglingués des anciens palais qui faisaient la gloire des Conquistadores puis de leurs enfants et, surtout, l’incessant ballet des limousines américaines des années soixante rafistolées avec bonheur malgré l’absence de pièces détachées, forcent à ouvrir des yeux ronds, béats d’admiration. Image nature, imparfaite, terriblement sincère.

Jane dans les rues de Carthagène

Faustine Poidevin

Même effet "Wahou" à Carthagène (un peu moins d’un million d’habitants) pour ce qui est des façades bien mieux restaurées ici, avec leurs couleurs pastel, leur lourde porte de bois, leur patio arboré et leurs balcons de fer forgé. Pas de voitures de collection dans les ruelles pavées mais un centre quasi piétonnier enserré dans 11 kilomètres de remparts circulaires toujours debout (dressés entre 1600 et 1798, ils sont classés par l’UNESCO) ainsi que des calèches pour les visiteurs. Image proprette, presque sophistiquée.

Verdict : égalité

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Dans de beaux draps

A une poignée de palaces très identifiés près (le Nacional comme figure de proue, passage obligé au moins pour un mojito, le cocktail du pays), La Havane s’invente peu à peu un parc hôtelier digne de ce nom. Bonne nouvelle, depuis que les familles peuvent tenir maison d’hôtes ou accueillir des étrangers, l’hébergement de charme accompagne l’ouverture des nouvelles adresses des chaînes internationales. Deux points noirs quand même : la valse des réservations qui rend certain d’avoir sa chambre lorsqu’on est dedans ; et le service, souriant mais pas forcément à la hauteur des étoiles affichées ni des tarifs pratiqués.

Hébergement en Colombie

Faustine Poidevin

A l’inverse, Carthagène vit du tourisme, américain en particulier, depuis longtemps. Le professionnalisme (mais l’uniformité aussi) est de mise. Dans le centre-ville, plusieurs palaces sont installés dans des bâtiments historiques merveilleusement restaurés, le Sofitel dans un ancien couvent, la Casa Pestagua dans l’habitation d’un maître du XVIIIème siècle. Tout autour, ce sont hôtels chics de petite capacité, rendez-vous élégants avec chambres donnant sur le patio, voire boutique-hôtels au design très contemporain. Les établissements modernes aux normes internationales ont poussé hors des remparts, dans le quartier de Boca Grande, sans grand intérêt.  

Verdict : Carthagène

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Au bonheur de la rue

Même au temps de Fidel (mort en 2016), alors que le régime communiste imposait une terrible austérité aux habitants de La Havane, aucun ne se départait de sa joie de vivre, pas plus que de sa fierté d’être Cubain et de résister en riant à toutes les privations nées de l’embargo américain. La ville continue à vibrer sur le même registre, rayonnante, dansante, rigolarde. La rue, ses Cadillac, Dodge, Pontiac ou Ford d’un autre temps, couleurs pétillantes et chromes rutilants, assurent comme jamais. Les belles jouent la sensualité torride, leurs gardes du corps répondent avec t-shirt ajusté et joues mal rasées. Les baisers volent et vibre comme une musique de la rue qui donne le tempo de la vie.

Enfants a la Havane

Olivier Romano

Carthagène n’est pas loin de cette ambiance muy caliente toute à l’amour et à la fête avec l’avantage d’occuper la rue entière puisque hors calèches et taxis, la circulation est interdite. En outre, signalons la beauté des Colombiens et de leurs compagnes… Plaisir du regard sans égal ! Mais… Le succès touristique de la ville fondée le 1er juin 1533 fait qu’on s’y bouscule à haute densité. En pleine saison (fin décembre à avril), les rues sont noires de monde, entre croisiéristes américains, Européens érudits et Colombiens fans de leur propre histoire. Bref, on s’y côtoie dans un joyeux tintamarre égayé par les terrasses bondées, les vendeurs de tout, les groupes de musiciens qui font la manche… Les autorités locales vont vite devoir trouver une solution pour que la ville intra-muros, quasiment saturée, retrouve un peu de respiration.

Verdict : égalité

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Savantes visites

Chacune sa cathédrale, elle est exceptionnelle. Celle de La Havane date de 1777, celle de Carthagène, de 1661. Passé le portail majestueux, on entre dans la légende. Les deux villes ont en commun un centre historique de toute beauté dont les pierres racontent cinq siècles d’histoire. Pareillement, une bonne dizaine de musées et autant d’habitations somptueuses où vécurent des personnages illustres sont, ici comme là-bas, ouvertes à la visite. La Havane fait valoir sa promenade de bord de mer, le Malecon, régulièrement battu par les vagues de la marée haute, ainsi que ses quartiers anciens, autant de petits villages. Ne pas manquer la vieille-ville, pas plus que le Paseo del Prado où Chanel fit défiler ses mannequins en 2016. Et visiter une fabrica, un atelier où sont roulés les puros, les meilleurs cigares du monde. Dans la rue veillent de nombreux vendeurs de boites « tombées du camion », alors attention aux arnaques.

Graff à Carthagène

Faustine Poidevin

De son côté, Carthagène est maintenue dans ses remparts. Ils enserrent la ville, très petite, mais quelle magnifique promenade en surplomb de mer ! Pour le clin d’œil, on remarquera les vendeurs de rue ou les estaminets qui proposent des cigares de… Cuba. La plupart sont des faux. Deux autres séductions ajoutent au plaisir du séjour à Carthagène : le quartier populaire de Getsemani, hors remparts, refuge des graffeurs talentueux, des musicos dont on parlera demain et du petit peuple toujours prompt, entre deux gorgées de rhum, à moquer les puissants ; ainsi que le monastère de la Popa construit en 1606 sur une colline qui domine la ville à 150 mètres de hauteur, toujours actif et gardien d’une Vierge couronnée d’or portée en triomphe chaque 2 février. Vue grandiose sur Carthagène en prime, de l’aéroport aux remparts en passant par le port et les tours qui singent Miami.

Verdict : égalité

6

Et on mange quoi ?

Les deux villes sont posées en bord de mer. Très logiquement, leurs restaurants devraient faire la part belle aux poissons et crustacés. Ce n’est pas le cas de La Havane qui, leçon du dénuement, ajoutée au fait que les Cubains sont plus terriens que marins (la pêche a été très surveillée afin d’éviter les fuites), sert riz et poulet à tous les repas. A moins que ce soit patates et porc trop cuit. Les fameuses langoustes sont servies avec parcimonie, la plupart étant destinées à l’exportation, source de devises. Bref, pour la gastronomie, prière de voir ailleurs. Le rayon boissons assure la revanche. Cuba libre (rhum et cola), mojito (rhum, sirop de canne et menthe fraiche), margarita (tequila, curaçao, citron vert) et mille autres cocktails accompagnent les nuits de La Havane !

Jane en train de manger a Carthagène

Faustine Poidevin

En comparaison, Carthagène joue les cossues. Langouste, crabes, poisson du jour, au choix, sans oublier les restaurants italiens, français, chiliens, espagnols, etc. La table y est un vrai régal. Quant aux boissons, pas de souci, au registre cubain, elle ajoute les plaisir des vins sud-américains et de bières locales plus que convenables.

Verdict : avantage Carthagène

7

A propos de fiesta…

Les mythiques bars de La Havane font évidemment fureur : le Floridita où fut inventé le daiquiri (rhum, marasquino, citron vert) et qui accueillit toutes les stars de Hollywood ainsi que Hemingway, une institution, la Bodeguita del Medio, temple du mojito auréolé de sept décennies d’histoire qui virent défiler ici tout ce que la terre compte de people, et une bonne cinquantaine d’autres, dont le bar so chic de l’hôtel Nacional. Ambiance assurée, d’autant que la plupart servent des concerts live chaque soir. Et quand on sait le talent des musiciens cubains… Bref, festif, bruyant et parfaitement convivial. En revanche, éviter le Tropicana, ex-temple jazzy, devenu grossier attrape touristes.

couple qui danse à Cuba

Lianne Milton/REDUX-REA

Autre style à Carthagène. La belle colombienne préfère danser et chanter à ciel ouvert. C’est sur ses nombreuses placettes que s’installent les musiciens, guitariste solo comme bandas familiales avec cuivres et chœurs. Tout le monde entre dans la danse et n’oubliez pas de faire tourner le panama ! Spontané et réjouissant. 

Verdict : égalité

8

Une ville et des gens

En schématisant, La Havane vit avec modestie et des revenus comptés alors que Carthagène respire l’opulence. La première a gardé le sens des relations aussi simples que sincères, chaque porte poussée réservant un accueil chaleureux sans arrière-pensée (sauf la nuit, lorsque les pros du trousse-touriste sont de sortie) et une disponibilité totale pour renseigner, discuter, montrer, sans le moindre tabou.

Femme dans une rue de la Havane

Olivier Romano

Carthagène vit sur un mode bien plus sophistiqué. L’étranger n’est plus, depuis longtemps, une curiosité, encore moins une occasion d’échanger. La cordialité est de mise, les tropiques et la vitalité sud-américaine permettant de partager un banc, un verre, un prochain rendez-vous.

Verdict : La Havane

9

L’addition, s’il vous plait !

Certes, le système monétaire cubain est un peu compliqué pour évaluer le budget du voyage. Les étrangers payent officiellement en CUC. Mais ils peuvent aussi posséder quelques pesos qui leur coûtent 25 fois moins cher… Cette curiosité devrait cesser d’ici peu. Tous comptes faits, les additions cubaines courantes sont nettement moins élevées que leur équivalent européen. A La Havane, on déjeune tranquillement pour 10 euros et une bouteille de Cristal (bière locale) comme le petit verre de rhum sont servis pour bien moins d’un euro. Pour ce qui est de l’hébergement, compter entre 50 euros la nuit et autour de 200 euros selon le standing retenu.

restaurant a la Havane

Emiliano Granado/REDUX-REA

Carthagène reste encore en deçà des standards américains et européens mais s’en approche doucement : compter une vingtaine d’euros par repas et entre 100 euros la nuit et le triple en fonction de l’hôtel.

Verdict : avantage La Havane

10

Portes ouvertes sur…

Cuba est la plus grande île des Caraïbes : 110 860 km² et 1 250 km de longueur. La Havane ouvre ses portes sur les trésors du pays : Trinidad, l’autre merveille coloniale, Vinales dont les paysages sont classés par l’UNESCO, Pinard el Rio, la reine du tabac, les plages de l’île de la Jeunesse ou celles de Cayo Largo… On n’est pas obligé de céder à la facilité de Varadero, station balnéaire concentrationnaire. Tous ces sites sont faciles d’accès, par avion (réseau dense), en voiture de location (routes correctes et tarifs modérés) ou par autocar. Une semaine minimum, deux si possible, permettent d’apprécier le large éventail des trésors cubains et, plus encore, le charme absolu d’une population fière de sa culture, de son système (pratiquement 100% de scolarisation) et de sa résistance. Oui, Fidel y reste un héros, non la tentation américaine n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Plage de Cuba

Valentina Gabusi/Getty Images/iStockphoto

En regard, Carthagène parait bien excentrée, plein nord, sur la carte de la Colombie (1 142 000 km² ). Quelque 663 kilomètres la séparent de sa capitale, Bogota qui mérite le détour au moins pour sa cathédrale, son exceptionnel musée de l’Or et ses soirées branchées. La coloniale Popayan se trouve à 900 kilomètres. Quant aux parcs naturels du nord du pays (Tayrona en particulier), ils sont à ses portes, offrant une belle évasion grand vert. Les randonneurs adorent. En revanche, le balnéaire fait défaut sur la carte des suggestions. Pour compléter le séjour avec une semaine pieds dans le sable, il faut viser à 700 kilomètres des côtes, en mer des Caraïbes, l’archipel de San Andres où se trouve la réjouissante petite île Providencia. Un autre voyage.

Verdict : La Havane

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL