Indonésie

L’Indonésie en famille, version sauvage et heureuse

L’Indonésie en famille, version sauvage et heureuse

Cinq ados, une fillette de quatre ans, quatre adultes partis  à l’aventure et au gré de l’envie sur les Petites Îles de la Sonde Orientales. L’Indonésie en famille, version sauvage et heureuse.

Petites îles de la Sonde

“Se laisser guider par les  rencontres, prendre le temps de vivre et de voir vivre.”  

 

Florès, première plage, premiers amis

Eliette installe sa dînette sur le sable blond de cette plage déserte face à Florès. Quelques graines d’arbres remplissent trois coques de noix de coco transformées en casseroles pour l’occasion après que leur chair ait régalé toute la tribu. Cousines et cousins : Camille, Dina, Nicolas, Matthieu et Solenn (respectivement 12, 14, 15, 16 et 18 ans) sont, eux, occupés à jouer aux équilibristes sur une pirogue abandonnée, leurs paréos fétiches en guise de voile. Puis la bande enfile masques et palmes pour plonger vers la barrière de corail, saluer tortues et gorgones. Egosillements dans les tubas au passage d’un petit requin inoffensif mais un peu trop curieux. Les parents respirent. Après un long vol jusqu’à Bali puis un saut de puce pour rejoindre Florès, cette journée ressemble enfin à l’Indonésie qu’ils aiment. Loin des plages bondées de Kuta. Marleno avait d’ailleurs planté le décor en proposant son bateau pour un boat-trip à destination d’un îlot qui, comme la grande majorité des 17 500 et des poussières d’îles indonésiennes, ne porte pas de nom. Seules trois ou quatre familles de pêcheurs saisonniers habitent ici dans des cases sur pilotis, échappant ainsi à la montée des eaux durant la saison des pluies et les grandes marées. Devant l’une d’elles, Eliette a trouvé une balançoire et du haut de ses quatre ans, elle entame la conversation avec la propriétaire. “Selamat sore ! Apa kabar ?” répond la jeune femme. Bonjour ! Comment ça va ? traduit Solenn qui depuis ses premiers voyages indonésiens (aujourd’hui le septième) a décidé d’apprendre le bahasa indonesia.

Plage déserte au large de Florès

 

Florès et le grondement de Kelimutu

Eliette et Solenn sont les meilleurs sésames que la terre ait donnés pour découvrir le monde et en l’occurrence les Petites Îles de la Sonde. À chaque instant elles sont capables d’ouvrir les portes d’un village, lier connaissance avec une population naturellement très accueillante, guider l’ensemble de la famille vers la prochaine étape décidée la plupart du temps au gré du vent et des envies. Si l’idée de ce voyage est bien une boucle d’île en île, on ne s’interdit jamais une pause de quelques jours, un détour. “Le programme ? C’est de ne pas en avoir !” répond Bernard, le doyen du clan. Tel est l’intérêt d’un voyage en slow motion (un mois cette fois-ci) : se laisser guider par les rencontres, prendre le temps de vivre et de voir vivre. Ce matin peu avant l’aube, Eliette et ses aînés partent ainsi crapahuter sur les hauteurs du Kelimutu, un volcan incontournable de Florès. La route serpente à travers la végétation luxuriante ouvrant une perspective étonnante sur les rizières en étoiles. Une marche de vingt minutes permet d’atteindre la crête du petit strato-volcan alors que le soleil commence à chauffer gentiment. Le Kelimutu révèle ses trésors : trois lacs de cratère aux couleurs profondes. Noir pour le lac du vieil homme, vert pour celui de l’homme jeune et violet virant au rouge pour celui du devenir. Le belvédère sort à peine de la brume. Un vendeur ambulant nous prépare un thé et donne aux enfants des morceaux de manioc à jeter aux singes. Au loin, les grondements sourds de la terre n’inquiètent guère Eliette.

Hauteurs de Moni à Flores

Loweleba

Vers l'île sauvage de Pantar

 

Marché à Ende

Redescente vers le village de Moni à travers les plantations de café, avant de repartir un peu plus tard à l’assaut d’une cascade perdue dans la jungle. Les enfants apprécient le brumisateur géant puis, lorsque le ciel se met lui aussi à arroser, on se réfugie dans un petit warung (échoppe) pour calmer les appétits grandissants, d’un mie goreng (nouilles sautées) bien mérité. Fin de marché à Ende, les garçons craquent sur les couteaux avec leurs étuis en bois sculptés, les filles sur les ikat, ces étoffes aux motifs harmonieux et différents selon la région, tissées à la main, colorées à base d’écorces, de roches et de terre. Tour à tour jupe ou châle porte-bébé, l’ikat est un vêtement modulable que l’on voit essentiellement porté par les femmes âgées et de rares hommes. Notre tribu à quant à elle adopté le sarong, paréo lui aussi multifonctions. On le glisse dans le sac à dos avec la carte de l’île, un hamac, un masque, un tuba et… vive le vent ! Il sert de serviette, de drap léger dans l’air chaud de la nuit, il protège tantôt du soleil, tantôt de la poussière qui s’infiltre par les fenêtres et la porte arrière toujours ouverte du bemo (taxi bus).

 

On the road vers Larantuka

La route qui ce matin nous emmène à Larantuka, à la pointe est de Florès, est chaotique, les paysages de plus en plus arides, mais le chauffeur souriant. Ces cinq heures de rodéo sont également l’occasion de lier connaissance avec les quelques passagers qui ont pu se glisser parmi notre large équipage. Assis face à face, le contact s’établit facilement. Eliette reste au centre de la conversation et s’installe à côté du chauffeur. André, lui aussi a deux filles. Autour de son cou une petite médaille ballottée par les aléas de la chaussée, qui avec les autocollants géants de Jésus collés dans l’habitacle rappellent que 85 % des habitants de Florès sont catholiques. Il rejoint Larantuka, qui chaque année à Pâques célèbre les statues de Jésus et Marie laissées en héritage par les missionnaires portugais au XVIe siècle. Mais aujourd’hui André attend un autre messie : le ferry qui une fois par semaine assure la liaison avec Alor et lui permettra d’acheminer ses paniers gonflés de choux et de fruits pour l’instant chargés sur le toit du minibus entre nos sacs à dos. Enfin arrivés à bon port. Les enfants cavalent. Jamais le jus de citron vert n’a semblé si doux !

 

Attendre, et Alor ?

La chambre d’hôtes est une ancienne maison coloniale ouverte aux quatre vents. Les poules vont tranquillement du jardin à la cuisine. Une seule ampoule solitaire et une multiprise assaillie par les chargeurs de téléphones et tablettes des rares voyageurs en escale (depuis un mois pour certains). Pas de wifi, mais un réseau 3G généreusement partagé comme le curry du soir, permet d’envoyer un mail aux amis restés à l’autre bout du monde. Le confort est sommaire mais cela est devenu secondaire, même pour nos ados qui ont déjà compris que le luxe d’un voyage était ailleurs. Réveillés au chant du coq (loin d’être une image en Indonésie) l’idée d’embarquer pour la prochaine île fait monter l’excitation. Mais ici, c’est la mer qui dicte les horaires du ferry, et il faudra patienter douze heures pour rejoindre Alor. “C’est dans l’attente que l’on rencontre le monde.” écrit Paolo Rumiz. Solenn discute avec les chauffeurs de bemo, les garçons jouent au foot puis aux cartes avec l’équipe locale, Eliette prouve une fois de plus que le langage est accessoire pour se faire des amis.

“Une île au large de l’amour posée

sur l’autel de la mer... voici venu le temps de vivre, voici le temps d’aimer”,

chantait Brel sous les mêmes latitudes.

 

Sur le ferry vers Kalabahi

Finalement la troupe embarque au milieu des sourires édentés, des bébés emmitouflés, des sacs de riz et des panières débordantes. Jaune des bananes, rose flashy des ramboutans, peau hérissée des durian puants qui rappelle celle des varans de Komodo. Des cris stridents annoncent l’arrivée à bord d’autres passagers : deux énormes cochons prennent place tant bien que mal, suivi d’un scooter. Fou rire des enfants, heureux de quitter le port, bouclettes au vent, nez collés à la balustrade salée. Enfin, les formes volcaniques de l’archipel d’Alor se dessinent dans la brume. À l’extrémité d’une baie frangée de palmiers, Kalabahi nous tend les bras. On suit le flot jusqu’au marché. Bain de foule, de couleurs, de parfums de vanille, girofle, bois de santal et curcuma. Eliette passe de stand en stand, de bras en bras puis se volatilise. Pincements de cœurs occidentaux avant qu’elle ne réapparaisse les bras chargés d’oranges et de fleurs. Alor est généreuse. Chaque matin, les copains de Solenn nous emmènent vers un nouveau village de montagne, une nouvelle plage.

 

Lagons et douceurs bleus

Les richesses de l’archipel se cachent aussi sous l’eau. Alor et ses voisines Pantar ou la petite Kepa comptent parmi les plus beaux fonds marins de la planète, gardés par de forts courants. Les plongeurs australiens, américains, français se retrouvent sur ces grains de corail saupoudrés de quelques bungalows de bambous et de cocos. Aux simples baigneurs, le lagon offre déjà de quoi barboter, la tête dans l’aquarium. En surface, le regard file jusqu’au Timor oriental, une soixantaine de kilomètres au large, accroché par le cône quasi parfait de la petite île vierge de Pura. “Une île au large de l’amour posée sur l’autel de la mer… voici venu le temps de vivre, voici le temps d’aimer”, chantait Brel sous les mêmes latitudes. Pour gagner Baranusa, chef-lieu de Pantar, pas de route mais une piste dangereuse. Une fois de plus, la mer s’impose comme le meilleur choix, malgré une panne moteur, qui ajoute un peu à l’aventure. Impression de bout du monde confirmée, la civilisation se résumant à deux ou trois échoppes dans un village endormi. Retour sur Florès.

 

A l’est, Lembata

Nouvel embarquement. Cette fois le cargo emmène la smala vers Lembata, l’île des baleiniers. Cap toujours plus à l’est. Les visages n’ont décidément plus rien à voir avec l’Asie, se rapprochant définitivement de ceux de Papouasie-Nouvelle-Guinée. La gentillesse, elle, est une constante. Durant cette longue nuit Eliette, se fait un nouvel ami. Bugis est chauffeur de camion. Il lui apprend des chansons, des jeux, et sur le pont, la petite tête blonde finit par s’écrouler dans ses bras. À 6 heures du matin, le navire appareille dans le port de Lewoleba. La mer est d’huile, les yeux fatigués. La marmaille à moitié endormie s’installe dans un petit café pour attendre le camion rouge et jaune qui traversera l’île vers le sud jusqu’à Lamalera. Pas pressés de s’attaquer à cette nouvelle épopée des pistes, on flâne. “Selamat Pagi !” un voisin heureux propose aux enfants de monter à bord de deux wagonnets qu’il tire derrière son scooter. Concert de rires et de klaxons. Bugis nous donne rendez-vous chez sa tante. Impression d’être déjà de la famille.

Pura face à Alor

 

Derniers jours avant Bali

Lamalera est un bout du monde tout droit sorti d’un roman. De mai à octobre les hommes du village pêchent encore au harpon le cachalot et l’orque, à bord de frêles esquisses de bambous. Sur la plage, les ossements géants et l’odeur de la viande qui sèche font grimacer notre jeune équipage. Bugis, retrouvé par hasard, explique que bien qu’interdite en Indonésie, cette pêche ancestrale est tolérée sur Lembata car elle permet d’assurer l’autosuffisance des villageois. Sur cette terre aride vouée à la mer, la viande nourrit et s’échange contre fruits et légumes. Il ravive le sourire d’Eliette en racontant la légende de la baleine bleue, épargnée depuis qu’elle aurait sauvé une famille de l’île. Les jours s’écoulent tranquillement à Lamalera. Du village à la plage, de la plage à une cérémonie, conviés par les amis toujours prêts à faire découvrir une nouvelle partie de leur île. On se sent chez soi. Le temps n’a plus de prise. Pourtant après un mois au fil du vent, il faut bien envisager le retour sur Florès, puis Bali. L’île bouddhiste cache, paraît-il, encore des trésors, pour peu que l’on s’aventure en son cœur. Et puis, reste à découvrir Java, Sumba, Sulawesi et tant d’autres archipels insoupçonnés. L’Indonésie en famille est une évidence. “On reviendra !” puisqu’Eliette le dit…

 

Par 

BAPTISTE BRIAND