Mauritanie

Maurice Freund, pionnier du voyage pour tous

Maurice Freund, pionnier du voyage pour tous

Maurice Freund se bat, depuis plus de quarante ans, pour un tourisme « différent ». Pionnier du voyage pour tous et de l'aérien low cost, il a aussi œuvré pour un désenclavement des régions économiquement pauvres en ouvrant des lignes là où personne n'osait aller. Baroudeur de la première heure, amoureux de l'Afrique  et de ses peuples, cet humaniste est resté fidèle aux grands idéaux solidaires des années 1970. Vacance l'a suivi dans sa dernière aventure : la réouverture, en début d'année, de la Mauritanie aux voyageurs.

Après dix ans d’interruption, cette année, Maurice Freund inaugure de nouveaux vols vers Atar, en Mauritanie. C’est l’occasion, pour tous les amoureux du désert et trekkeurs, de découvrir toute la variété des fabuleux paysages mauritaniens : les dunes de sable, les oueds, les oasis plantées de palmiers, sans oublier, les nuits sous des ciels purs piqués d’étoiles. Et d’aller à la rencontre des nomades, heureux de revoir enfin les voyageurs qui contribuent à repeupler les villages abandonnés par les habitants et à recréer une économie locale. Les remerciements sont sur toutes les lèvres, ainsi que les sourires, et l’enthousiasme présent pour donner un nouvel élan à leur pays et à leur région, l’Adrar. Découvrez la variété des fabuleux paysages de Mauritanie

une homme qui marche sur le sable au Mauritanie

Qui est Maurice Freund ? Un aventurier à la vie romanesque ? Un « Robin des airs » ? Un visionnaire aux semelles de vent ? Les qualificatifs ne manquent pas pour celui que Pierre Rabhi définit comme un rebelle « du cœur, de l’esprit et de l’âme ». Pour le grand public, il est surtout le fondateur de Point Mulhouse, de Point Air et de Point-Afrique dont il est maintenant le président. Il est aussi celui qui a révolutionné, il y a cinquante ans, l’accès au monde et le transport aérien. Derrière ce nom, se cache un homme d’origine alsacienne au regard perçant et malicieux. Rien ne semble lui faire peur. Et aucun obstacle ne l’arrête lorsqu’il faut défier l’ordre établi et surmonter les interdits.

Cet humaniste est, avant tout, un instinctif, un entrepreneur, le précurseur d’une autre forme de voyage et l’un des inventeurs, avec Jacques Maillot de Nouvelles Frontières, des vols en charter à la fin des années 1960. Il est aussi l’un des premiers à réinvestir ses bénéfices dans le développement solidaire et à mettre en place une coopérative à vocation humanitaire. Son objectif ? « Utiliser l’avion, comme arme pour combattre l’injustice, celle qui sépare le Nord et le Sud, celle qui produit la famine des uns pour l’enrichissement des autres, cette lutte demeure mon seul et unique combat fondamental. » Cette initiative rendra les voyages en avion plus accessibles et instaurera une économie locale dans des régions du monde parmi les plus déshéritées. Comme Maurice Freund aime à le rappeler, il a fait ce métier par hasard et, essentiellement, pour se sentir utile et donner un maximum de sens à sa vie.

Maurice Freund et ses amis

Modeste, l’homme est considéré par ses amis mauritaniens comme un gourou, presque comme un sauveur. Khadi, le guide qui a mis au point les circuits à travers l’Adrar, le définit comme un catalyseur. L’État mauritanien n’a pas ménagé ses efforts pour sécuriser le pays, les tour-opérateurs se sont investis, et Maurice, avec sa force de persuasion, a réussi à convaincre le quai d’Orsay de faire passer cette zone géographique de rouge à orange. Un contrat a été passé entre tous les intervenants, afin de rétablir des vols, affrétés par Point-Afrique entre Paris et Atar, et de mettre en place des structures et des circuits pour pouvoir accueillir les touristes en toute sécurité.

Aujourd’hui encore, les « pointistes » des premiers temps sont à l’affût des destinations que Maurice Freund va desservir et ils ont été les premiers, tout comme les passionnés du Sahara, à remplir les avions en direction d’Atar. Sur le trajet, une étape est obligatoire. Celle de l’ancien centre caravanier et métropole culturelle, la ville fortifiée de Chinguetti, classée au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1996, dénommée « la ville des bibliothèques », où Théodore Monod aimait s’arrêter lors de ses expéditions. Mais c’est au sud que l’on retrouve Maurice, à Maaden, au cœur d’une palmeraie longue de sept kilomètres qui abrite une multitude de jardins potagers, guidé par un jeune homme, imam du village. Devant sa case, Maurice est entouré par des villageois et le maire. Ensemble, ils ont un grand projet, réaliser un village agroécologique avec Pierre Rabhi. Plus tard, c’est sous la rhaïma (la grande tente), assis sur des nattes, autour d’un thé qu’il raconte son parcours.

Un agriculteur en mauritanie

C’est dans le contexte des années 1960 que l’aventure commence. À l’époque, tout est possible, tout est à inventer, tout semble facile en comparaison d’aujourd’hui. Le marché du travail est en pleine croissance et le mot même de chômage n’existe pas. Les progrès techniques et scientifiques ont le vent en poupe et les inégalités sociales ne vont pas tarder à être balayées par la vague de Mai 68… C’est aussi l’heure des chantiers de jeunesse. En 1964, Maurice, alors à la fac, rentre tout juste du service militaire. Il entreprend, avec une bande d’amis étudiants et d’ouvriers issus du centre de formation technique, de construire un chalet dans les Vosges.

Une entreprise ambitieuse si l’on en juge par ses capacités d’accueil de 120 personnes. Ils sont, en effet, une bonne centaine à se consacrer à sa construction, le week‑end. Dans la foulée, ils déposent les statuts d’une association à but non lucratif afin de développer le tourisme et de sauvegarder le patrimoine. Le Point Mulhouse est né. Mais une fois ce chalet terminé, les « pointistes » émettent, tout de même, quelques réserves sur ce projet qui leur paraît un peu égoïste. Maurice se souvient d’un missionnaire de Madras qui creusait des puits en Inde et qu’il a rencontré, enfant, au petit séminaire. Les « pointistes » décident de partir en Inde, non pour faire du tourisme, mais pour participer à un chantier de jeunesse dans une mission catholique. La seule ombre au tableau, c’est le prix du voyage…

Joli paysage d'arbres et de sable

Maurice se met donc à prospecter les agences du Quartier latin afin de trouver les vols les moins chers, et un premier départ est organisé. L’année suivante, en 1969, il rencontre Jacques Maillot de Nouvelles Frontières. Celui-ci lui propose des tarifs plus intéressants pour l’Inde. Les deux hommes ont en commun des années de scoutisme, mais n’affichent pas les mêmes ambitions. Si Jacques Maillot a commencé par voyager en bus avec ses scouts au Maroc, son objectif a toujours été d’être le leader du transport low cost.

Ce n’est pas le cas de Maurice Freund qui a gardé ses idéaux d’ancien syndicaliste avant de songer à un quelconque bénéfice financier. Même si Point Mulhouse peut être amené, pour pallier ses frais, à revendre des billets de Nouvelles Frontières, ses passagers ne sont pas de simples clients. En achetant leur billet, ils deviennent membres actifs de son association et peuvent même voter lors des assemblées générales.

Joli paysage de Mauritanie

Situé à la frontière entre la France, l’Allemagne et la Suisse, le Point Mulhouse est un vrai pôle géostratégique. La langue maternelle de Maurice, c’est l’allemand. Aussi est-il à l’aise dans les trois pays. Il en est de même pour les bénévoles qui distribuent des tracts pour Nouvelles Frontières en France, en Suisse et en Allemagne. Cet atout multiculturel n’échappe pas à la Swissair qui ne tarde pas à contacter Maurice, car la Suisse aimerait attirer la clientèle française.

L'Alsacien passe un accord et affrète un premier avion pour Londres. Il vend l’aller‑retour 118 francs alors que le tarif au départ de Mulhouse coûterait 600 francs. Grâce aux tracts distribués par les bénévoles, l’avion est complet en deux jours. Maurice et les « pointistes » se prennent au jeu et lancent deux autres vols à destination de Londres, mais les autorités y mettent fin car ils n’ont pas de licence et donc pas accès au trafic. Qu’à cela ne tienne… Ils modifient les statuts de leur association en y ajoutant la mention « voyage » et les vols reprennent de plus belle…

Portrait d'une femme en Mauritanie

Peu après, Maurice constate que, si les voyages sont si onéreux, c’est parce que les avions sont pleins à l’aller et vides au retour. Il imagine, alors, de mettre en place un aller par voie terrestre traversant la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan et enfin l’Inde et un retour par les airs, ou inversement. Un Mulhouse‑Delhi est lancé en juillet 1970, puis l’année suivante, un vol pour le Mexique voit le jour sur le même principe. Grâce au bouche à oreille, au dévouement des bénévoles et à la presse qui lui est favorable (notamment Le Monde), le succès est vite au rendez-vous et ses avions ne désemplissent pas. En 1972, de nouveaux circuits sont développés en Amérique du Sud : Guayaquil, Bogotá, La Paz ou encore Quito.

Les voyageurs acceptent d’atterrir en Colombie et de repartir un mois plus tard du Pérou, ce qui leur permet d’aller à la rencontre des populations locales. Pour mettre au point ces circuits, Maurice passe beaucoup de temps dans les Andes, tout en finançant des disques de musique andine très en vogue à l’époque. Il rapporte, aussi, des milliers de pulls et de ponchos issus de coopératives textiles que son réseau diffuse sur les marchés alsaciens. Du commerce équitable avant l’heure… Point Mulhouse est à son apogée. Il assure cinq vols par semaine vers le Pérou et la Bolivie et transporte près de 20 000 personnes par an. Viendront, ensuite, d’autres destinations comme l’Afghanistan ou le Yémen. Au tourisme de masse, le Point préfère des destinations lointaines, pas ou peu desservies. Aux yeux de Maurice, un voyage n’a de sens que dans la mesure où il permet de rencontrer d’autres cultures. « Si c’est pour du farniente, dit-il, c’est du gaspillage. »

Livres au sol en Mauritanie

La carrière de ce baroudeur au grand cœur connaîtra de multiples rebondissements. Il sera amené à côtoyer de nombreux chefs d’État, à frayer avec les services secrets et connaître, de ce fait, les dessous de la « Françafrique ». En marge de ces activités, il purge même une peine de prison en Bolivie, en 1974, pour avoir aidé des réfugiés chiliens à rejoindre la Suisse. En juillet 1979, il rapatrie aussi, à la demande du gouvernement français, 180 boat people vietnamiens. En 1977, il lance la première compagnie de charter long‑courrier pour les Antilles : la SATT qui opèrera jusqu’en 1980.

Dans ces mêmes années 1980, tout vol sur le continent africain est sous le monopole d’UTA. Il faut donc obtenir une autorisation avant d’atterrir en Afrique de l’Ouest. Un nouvel horizon se profile lors du  coup d’État en République de Haute‑Volta (actuel Burkina Faso). Thomas Sankara, jeune capitaine sans manière, arrive au pouvoir. Maurice tisse, avec lui, des liens de confiance et d’estime réciproque. Dorénavant, on peut se procurer un vol pour Ouagadougou à 1 350 francs. La ville dispose d’une plateforme aérienne pour aller à Lomé, à Abidjan, à Cotonou et à Niamey. Maurice fonde même une compagnie cargo afin d’exporter des tonnes de haricots.

Portrait d'un homme en Mauritanie

En 1982, il rencontre Pierre Rabhi qui travaille à Gorom-Gorom, un centre de formation agroécologique. C’est le début d’une amitié, d’une aventure et d’une collaboration qui durent encore aujourd’hui. Mais lorsqu’en 1987, Thomas Sankara est assassiné, Maurice perd ses protecteurs et est interdit de séjour au Burkina Faso. En France, une campagne diffamatoire est lancée contre le Point, au motif du manque de sécurité de ses avions. Effrayés, les clients annulent leurs vols, ce qui entraîne en 1988, la liquidation de Point Mulhouse. Au début des années 1990, Maurice prend la direction de Malitas, la compagnie aérienne du Mali avant de créer, en 1995, Point-Afrique.

En 2007, après l’assassinat de quatre Français en Mauritanie, le pays connaît une chute drastique du tourisme. Aujourd’hui, toutes les conditions de sécurité sont réunies pour que les vols vers Atar puissent reprendre. Le trafic aérien a retrouvé une certaine liberté. Les monopoles se font de moins en moins ressentir et les tour‑opérateurs s’impliquent davantage dans les ONG. En 1996, date du premier vol pour Atar, 58 % de la population de l’Adrar 
vivait en dessous du seuil de pauvreté. Cinq ans après, grâce au tourisme et aux emplois de proximité, le pourcentage est tombé à 22 %. De même, la population de Chinguetti, qui s’élevait à 6 000 habitants en 1996, est remontée à 14 000 habitants en 2008. On sait qu’un touriste qui séjourne pendant 15 jours en Mauritanie fait vivre une famille pendant un an. C’est ce tourisme responsable que défend Maurice Freund.

Famille de Mauritanie

À présent, l’Alsacien laisse aux tour-opérateurs le soin de s’occuper des circuits, de former les guides, les cuisiniers, les chauffeurs et le personnel d’encadrement. Son nouvel objectif est de développer, avec son ami Pierre Rabhi, un village prototype, modèle, basé sur l’agroécologie, dans l’oasis de Maaden El‑Ervane. Créée en 1975 par un érudit soufi, cette communauté a une approche sociale assez exceptionnelle reposant sur la solidarité, une collaboration participative et un système éducatif original, « le cerveau des oasis », qui permet de réduire le cursus secondaire à trois ans en moyenne au lieu de sept ans. Les 700 habitants, majoritairement agriculteurs, cultivent dans leurs jardins, à l’ombre de l’immense palmeraie, la carotte (près de 2 000 tonnes par an) et le henné. Mais, l’idée est de diversifier les cultures, et surtout d’utiliser du compost pour enrichir le sol, abandonnant ainsi l’utilisation d’engrais chimiques.

Le thé en Mauritanie

Accompagnés d’un sociologue, d’un ingénieur agronome, d’un apiculteur et d’une coordinatrice, Maurice et son équipe évaluent les possibilités et les besoins locaux pour que Maaden devienne ce village modèle. Installation de pompes à eau solaires, construction d’une route pour exporter la production, formation à cette nouvelle forme d’agriculture… L’ampleur de l’entreprise est conséquente, mais la population est enthousiaste. Nul doute que le Mouvement Colibris va devoir réunir des fonds. Voilà un défi de plus pour Maurice Freund, ce qui n’est pas pour lui faire peur. Décidément rien n’arrête cet humaniste au charisme puissant, qui entraîne les foules. Suivons-le, en vivant l’expérience réjouissante et unique de partir à la rencontre d’une autre culture, d’un autre peuple. Ainsi en parcourant cette partie du Sahara, nous contribuerons, dès aujourd’hui, à construire un monde meilleur pour demain. Découvrez la Mauritanie avec Terres d'Aventure

 

Par

 CATHERINE DE CHABANEIX

 

Photographies

 FRED STUCIN