Grèce

kafeneio Society

kafeneio Society

Pas un village sans son kafeneio, le café grec traditionnel. Lieu porteur de mémoire, il est l’anti-café littéraire où les seniors jouent au backgammon local ou lisent dans le marc… de café. En nectar épais source de longévité ou frappé, cet or noir plébiscité par toutes les générations est une invitation au partage.

 

Intérieur jour. Café Kapi, sur l’île de Tinos. Pour entrer dans le kafenío du village, il faut montrer patte blanche. Le lieu ne reçoit que des seniors, tiniotes de naissance, et les commandes se prennent dans la langue officielle. Le carrelage est assorti aux murs jaunis par les volutes des grands-pères fumant librement, en disputant leurs parties de tavli (le backgammon grec), courbés autour de grandes tables en bois. La décoration minimaliste se résume à quelques tableaux de guingois aux motifs fleuris. Entre le claquement des pions, les rires trébuchent sur des mots joyeux. Et les grands-pères de siroter leur café “siga, siga” (“doucement”), en oubliant le temps qui passe. Au même moment, et à quelques détails de décoration près, la scène trouve écho partout en Grèce, dans un minuscule village du Magne, au sud du Péloponnèse, en Crète ou en Thessalie.

Café Grèce

Fiona Torre

 

Du kafeneio au café

Le pays tient à ses cafés : on dit qu’ils sont aussi vieux que les villages eux-mêmes, qu’ils en portent la mémoire. Totems de souvenirs, personnels et collectifs. Le premier d’entre eux, le Kafeneio de Forlidas, a ouvert ses portes en 1785 à Lafkos, un village de Pelion. Aujourd’hui encore, impossible d’imaginer un hameau en Grèce où il n’existe pas un kafeneio, même si ses clients se comptent sur les doigts d’une main. La rentabilité ne préside pas à la destinée de ces cafés, souvent tenus par des familles, dont les tarifs de consommation sont très peu élevés. L’essentiel est ailleurs, dans le lien qu’y tissent les villageois au quotidien, dans le rituel – qui s’ouvre invariablement par cette question : “Sketo ?, metrio ?, glyko ?” (nature ? moyennement sucré ? très sucré ?).

Guirlandes Grèce

Fiona Torre

Le café à boire, lui, est un héritage ottoman. Il se distingue d’abord par sa mouture fine comme de la poudre. On la mélange à l’eau et au sucre, puis on porte le tout à ébullition jusqu’à ce que cela gonfle lentement en formant à la surface du briki (le traditionnel pot en cuivre) une écume épaisse, le kaimak. Tout l’art consiste à verser le café dans la tasse en veillant à garder intacte cette écume, puis à aspirer le breuvage par petites gorgées pour ne pas boire le marc… Dont l’empreinte dans la tasse permet à certaines dames âgées investies de ce don la matière du kafemanteia, l’art de lire le futur dans le marc de café. On prête aussi à cet or noir d’autres vertus. Sur l’île d’Ikaria, dont plus d’un tiers de la population dépasse les 90 ans, la consommation de deux tasses de café grec par jour compterait parmi les secrets de longévité des habitants…

Vieille homme qui fait du café

Fiona Torre

 

L’invention du café frappé grec

Mais l’influence du café dépasse largement le kafeneio du village. Il est aussi un incontournable des grandes villes. D’Athènes à Thessalonique, les kafeterias qui ne désemplissent pas en attestent. Le menu s’est sophistiqué, allant parfois jusqu’à décliner quinze types de concoctions caféinées. Mais il en est un qui, par sa fraîcheur et la convivialité qu’il incarne, remporte tous les suffrages : le frappé. L’histoire raconte qu’un certain Dimitrios Vakondios, représentant de Nestlé en Grèce, l’aurait inventé par hasard en 1957, pendant la Foire internationale de Thessalonique. Nestlé introduisait alors sur le marché grec une boisson chocolatée réalisée dans un shaker. Vakondios voulait boire un Nescafé, mais ne trouvant pas d’eau chaude, l’idée lui vint de diluer son café dans de l’eau froide avant d’agiter le tout au shaker. Quelques glaçons plus tard, la boisson est devenue l’emblème de la culture café grecque. Aujourd’hui, toutes les générations le boivent du matin au soir. La relève de la Kafeneio society est assurée.

personnes agées grecs

Dagmar Schwelle/LAIF-REA

Lexique

Ellinikos kafés : Café traditionnel grec à boire, legs de l’ère ottomane.

Kafeneio (pluriel kafeneia) : Maison de café traditionnelle.

Kafeteria : Maison de café contemporaine.

Sketo : Nature (sans sucre).

Metrio : Moyennement sucré.

Vary glyko : Très sucré (plus de 2 sucres).

Me gala : Avec lait.

Choris gala : Sans lait.

“Ena frape, parakalo” : “un café frappé, s’il vous plaît”.

 

Photographie de couverture

FIONA TORRE