Irak

A la rencontre des réfugiés chrétiens et yézidis du Kurdistan irakien

A la rencontre des réfugiés chrétiens et yézidis du Kurdistan irakien

 Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, est administrateur de la Fondation ELLE, qui œuvre partout dans le monde pour l’accès à l’éducation des filles, à égalité avec les garçons. A ce titre, il s’est rendu en septembre dernier au Kurdistan irakien avec l’ONG EliseCare, soutenue par la fondation ELLE. Il y a rencontré des femmes et des enfants, victimes de Daech, pris en charge par les équipes de EliseCare. Récit. 

 

Je vous propose de vous raconter l’expérience qui a été la mienne au cours de ce voyage au Kurdistan. J’ai fait beaucoup de voyages dans ma vie, mais c’est un des voyages qui m’ont le plus marqués. J’étais déjà allé en Irak, et surtout en Syrie : c’est une  région  du monde qui me passionne, que je connais bien. Cette fois, je suis parti avec l’ONG Elise Care, engagée dans le soutien aux populations civiles victimes de la guerre en Irak et en Syrie, et soutenue par la Fondation Elle. EliseCare a été créée par une femme seule, Elise Boghossian – une femme exceptionnelle, comme j’en ai rarement rencontré dans ma vie. Elle a 35 ans, elle est docteur en médecine chinoise, et acupunctrice à Paris. Et depuis quelques années, elle a décidé d’exporter sa pratique de l’acupuncture dans des zones de guerre. Elle a une énergie folle. Pour venir en aide aux victimes de Daech en Irak et en Syrie, elle a monté des dispensaires et des cliniques mobiles. Elle prend en charge des milliers de réfugiés, parmi ceux qui subissent les troubles les plus graves, elle les  soigne médicalement et psychologiquement.

Ensemble, nous sommes allés à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, qui vient de déclarer son indépendance ; à Dohuk, la grande ville du Kurdistan irakien, au nord du Kurdistan, à la frontière turco syrienne . Quand j’y suis passé, ces zones venaient d’être libérées de Daech. On a traversé un village chrétien, Telleskuk tout juste libéré des troupes de Daech, qui y faisait la loi, il y a encore quelques mois, et où les villageois ont commencé à se réinstaller. A Batnaya, autre village chrétien, à quelques kilomètres de Mossoul, il ne restait que des ruines – tout avait été détruit par les bombardements, un décor d’apocalypse, et, au milieu des décombres, une famille, une seule – un homme, son épouse et leurs deux filles, revenus au village, décidés à s’y installer à nouveau. Ensuite, nous sommes partis à la frontière avec la Syrie et la Turquie, pour visiter une des cliniques de EliseCare : dans la région, ils sont des milliers de personnes déplacées à n’avoir pas même accès aux camps de réfugiés, où oeuvrent les grandes organisations internationales. Elise Boghossian a eu l’idée de recycler  des bus pour en faire des cliniques mobiles, qui vont là où sont les personnes. La clinique que nous avons visitée est dédiée à la prise en charge des femmes et des enfants. Comme vous le savez, les populations  yézidis ont été les premières victimes de Daech. Leur religion, qui puise dans le zoroastrisme, a été déclarée « hérétique » par Daech. Les hommes et les enfants ont été massacrés, les femmes asservies en esclaves sexuelles. Elles ont été triées en fonction de leur beauté, de leur âge. Et vendues sur le marché. Les femmes prises en charge par EliseCare sont rescapées de cet esclavage sexuel. Enfin, nous avons visité le camp de Darkar, où sont réfugiées des populations yézidis, et dans lequel EliseCAre est la seule ONG médicale à intervenir – nous avons assisté à l’intervention d’art thérapeutes et de psychologues américains, qui enseignent leurs techniques aux équipes irakiennes, pour qu’elles poursuivent le travail initié avec les enfants.

La situation sur le terrain est épouvantable, une négation de l’humanité. Et l’engagement d’Elise Boghossian et de ses équipes est absolu.

De combien de cliniques l’association dispose-t-elle ?

En Irak, il y a deux dispensaires fixes dans les camps de réfugiés des provinces de Erbil et de Duhok, et trois cliniques mobiles qui parcourent les sites isolés, et dont celui spécifiquement dédié à la prise en charge des femmes et des enfants, que j’ai pu visiter. Et en Syrie, une clinique mobile, pour dispenser des soins aux populations déplacées d’Alep. A bord de ces bus, des médecins de toutes les spécialités : généralistes, gynécologues,  pédiatres, chirurgiens,  acupuncteurs,  et des psychologues.

En quelle langue est-ce que les équipes avec les réfugiés ?

Les membres des équipes médicales sont recrutés au sein même des réfugiés, et  parlent yézidi, kurde, arabe. C’est d’ailleurs à ce titre que la Fondation ELLE soutient EliseCare : l’objet de la Fondation est de promouvoir l’accès à l’éducation des femmes. L’ONG EliseCare forme aux métiers de la santé des femmes réfugiées, syriennes et irakiennes, qui, avant la guerre, ont  étudié à l’université de Kobané ou de Mossoul. Avec un double objectif : recruter des équipes qui connaissent la langue, le terrain, la culture, et la situation psychologique de leur(e)s patient(e)s – elles-mêmes ont personnellement subi les drames de la guerre. Et encourager la réinsertion des personnes déplacées.

Les personnes que tu as pu rencontrer espèrent reconstruire leur vie sur place, ou s’exiler en Europe ou ailleurs ?

Il y a les deux cas de figure. Il y a ceux qui veulent fuir  – mais pour fuir il faut beaucoup d’argent, il faut passer par des camps épouvantables en Turquie, et les chances de passer les frontières et entrer en Europe sont extrêmement faibles. Et il y a ceux, majoritaires, qui veulent rester. Toute leur histoire est là. Toute leur vie est là. Ils ne veulent pas partir.

Quand je suis rentré de ce voyage, je me suis demandé comment, en Europe, on osait refuser l’asile à ces personnes. Et ce, quelles que soient les conséquences de leur accueil. D’ailleurs les conséquences peuvent être positives : en général, ce sont les plus entreprenants, ceux qui ont le plus de compétences, qui parviennent à s’exiler. Aujourd’hui le monde est dominé par quatre entreprises Google, Apple, Amazon et Facebook. La majorité de ces entreprises ont été créées par des réfugiés. Saviez-vous que Steve Jobs est Syrien ?

Seulement 7000 Syriens ont été accueilli en France. L’Europe est indigne. L’Europe marche sur tous les principes sur lesquelles elle est construite. Elle a inventé le dublinage : un Syrien qui est entré en Europe par la Grèce ne peut pas demander l’asile politique en France, il ne peut demander l’asile qu’en Grèce. L’Europe organise le traitement de demandes de droits d’asile à l’extérieur, avec des bureaux décentralisés de l’OFPRA en Turquie chez ce cher Erdogan, qui est un très grand démocrate comme vous le savez. On n’a pas réussi à faire suffisamment de pédagogie pour faire comprendre qu’il n’est pas acceptable de refuser d’accueillir ces personnes qui ont tout perdu.

 

Pour aller + loin

A lire

Au royaume de l’espoir, il n’y a pas d’hiver

d'Elise Boghossian Ed. Robert Laffont, 2015

Elise Boghossian décrit la situation des réfugiés yazidis au Kurdistan irakien, particulièrement celle des femmes rescapées de l’esclavage sexuel. Elle décrit leurs pathologies, mais également les belles actions menées par son équipe, pour soulager et redonner espoir.

 

Au royaume de l’espoir, il n’y a pas d’hiver

 

A écouter

Les Discussions du soir avec René Frydman

L’acupuncture en zone de guerre

Elise Boghossian présidente de l’ONG EliseCare, experte dans le traitement de la douleur nous parle de cette ONG apolitique et laïque qui a pour vocation principale d’apporter une aide médicale d’urgence aux populations civiles vivant en zones de conflit (réfugiés Yazidis du Kurdistan).