Egypte

Les cafés du Caire

Les cafés du Caire

Comment cerner les mille et un cafés du Caire ? D’abord, ce chiffre est bien inférieur à la réalité : la capitale égyptienne compte bien plus de ahawi que Schéhérezade n’a enchanté de nuits, même si personne n’est en mesure de les compter. 

 

Ensuite, la définition même de « café » reste à préciser car le terme recouvre une gamme infinie d’établissements, allant de véritables salons à de simples campements - quelques chaises en plastique, une armoire, un petit réchaud et un frigo - installés dans une ruelle, entre deux immeubles.Le café traditionnel dispose de tables à l’extérieur la plus grande partie de l’année. Dans les périodes chaudes, le sol est arrosé plusieurs fois par jour pour retenir la poussière et rafraîchir l’atmosphère.

détail d'un verre dans un café du Caire

Olivier Metzger

On voit passer des mendiants, des vendeurs ambulants, des cireurs de chaussures qui vous déchaussent et s’affairent dans un coin de la pièce… A l’intérieur, les murs sont recouverts de carreaux de céramique ou de miroirs sur lesquels se reflètent des néons. Des ventilateurs suspendus au plafond balayent l’air de leurs grandes ailes.

Ici, les femmes n’ont guère leur place. Et les jeunes couples qui veulent échanger des confidences n’ont rien à y faire : ils ont intérêt à se donner rendez-vous dans l’un des nouveaux centres commerciaux, au milieu de la foule, ou à se trouver une table discrète dans un « casino » au bord du Nil. Le café traditionnel, lui, est le royaume des joueurs de dominos ou de trictrac qui font claquer leurs pions avec l’assurance des oisifs. C’est aussi un lieu de méditation pour les fumeurs, sachant que la réputation de certains cafés tient à la qualité de leurs narguilés.

jolie photographie dans un café du Caire

Alfredo D'Amato/PANOS-REA

Méditation, oui, mais il ne faut pas exagérer : la chicha est intimement associée à la conversation et à la sociabilité. Cet instrument de délices passe aussi pour un calumet de paix. Tout un rituel l’accompagne. En apportant la pipe à eau, le préposé remet au client un embout de plastique jetable, enfermé dans un sachet. On sert des feuilles de tabac haché, macérées dans de la mélasse, mêlées d’épices et parfumées à la pomme, à la rose ou aux dattes. Tenant le bout du tuyau, il faut aspirer fort. Les nuages de fumée traversent le vase transparent dont ils colorent l’eau, qui glougloute au passage. De temps en temps, le serveur, armé de pincettes, vient déposer une braise fumante dans le fourneau contenant le tabac, et ça grésille délicieusement. 

Loin de se démoder, la chicha fait fureur parmi les jeunes. On a découvert cependant qu’elle représente l’équivalent d’une vingtaine de cigarettes. Un vrai poison ! Théoriquement, les moins de 18 ans n’ont plus le droit d’entrer dans les cafés du Caire, au nom de la lutte contre le tabac, mais celle-ci a encore beaucoup de progrès à faire en Egypte. Des jeunes femmes en nombre croissant se sont d’ailleurs mises à fumer la chicha en public. Elles ont peut-être trouvé là un habile moyen de trouver place dans les cafés parmi les hommes.
Pas une goutte d’alcool dans ces établissements (le café Al Horreya, dans le quartier de Bab El Louk, est l’un des rares à servir de la bière). En revanche, on y fait une grande consommation de boissons gazeuses sucrées, servies glacées, et naturellement de café et de thé. S’y ajoutent des infusions de karkadé (hibiscus), d’erfa (cannelle) ou de yansoun (anis).

Le thé, servi dans de petits verres, se boit toujours de la même façon : brûlant, très noir et très sucré. C’est le thé kochari, longtemps bouilli. Le café, lui, se prépare à la turque, dans une kanaka de cuivre à long manche et au col serré. Le client peut l’avoir, au choix, al riha (avec très peu de sucre), zyada (beaucoup de sucre), sada (sans sucre) ou mazbout (moyennement sucré). Mazbout qui, littéralement, signifie « exact ».

Les cafés du Caire existent depuis le seizième siècle. Jusqu’à une période récente, les estaminets n’avaient pas de chaises individuelles, mais des bancs. On trouvait là des conteurs, parfois accompagnés d’un instrument à cordes, qui venaient enchanter les habitués par leurs fables, leurs récits chevaleresques ou fantastiques. Ils ont été détrônés par la radio, et maintenant par la télévision, qui permet d’assister en groupe à des matches de football. Mais aujourd’hui encore, des écrivains publics sont installés dans des cafés proches des tribunaux ou de certaines administrations, où ils reçoivent leur clientèle.

Garçon de café au Caire

Olivier Metzger

Les cafés du Caire ne sont pas seulement des lieux de détente et de divertissement, mais des ciments de la vie sociale. On s’y retrouve par groupes d’amis, souvent par affinités professionnelles. Ils servent de sièges aux corporations qui n’en ont pas. D’où le nom de nadi (club) que conservent certains d’entre eux. 

C’est le lieu de réunion par excellence des écrivains et intellectuels. Bien des débats politiques y ont eu lieu au cours du siècle écoulé, dans les périodes où la police n’était pas trop présente. Naguib Mahfouz tenait des réunions littéraires au Café de l’Opéra dans les années 40, et au Café Riche, rue Talaat Harb, une vingtaine d’années plus tard. Ce dernier établissement, situé dans le quartier « européen » du Caire, qui a vu passer beaucoup d’artistes et d’intellectuels, a rouvert après une longue rénovation qui a permis de le reconstituer à l’identique. Le prix Nobel de littérature a également laissé sa trace au café El Fichaoui, dans le Caire islamique : un bel établissement, devenu une halte pour touristes, dont seuls les murs se souviennent des palabres d’antan…

 

 

Par

ROBERT SOLÉ

 

Photographie de couverture

ARMAND LAGRANGE