Inde

Karnataka et Andhra Pradesh

Karnataka et Andhra Pradesh

Terre de l’Océan Indien, d’une côte à l’autre, c’est ici le corps de l’Inde, l’Inde des temples sensuels, l’Inde des fleurs, des sourires, des peaux huilées, des épices brutes et criantes, des vétivers secs, du santal, des bois fumés doux et des fleurs de frangipaniers, l’Inde des Sens.

 

En Andhra Pradesh, état qui longe la côte est, la grande Hyderabad est la porte d’entrée en Inde du Sud. Prendre une journée pour faire le lien et changer d’ambiance pour se joindre aux pèlerins du grand temple de Tirupati, entourée de 7 collines, chacune avec un nom de dieu. Là-haut, les marchands du temple s’activent : offrandes odorantes, noix de coco, roses, bananes mures et lampes de camphre parfument ostensiblement l’air. Les femmes offrent leur chevelure aux dieux (les hommes et les enfants aussi,  mais c’est moins rémunérateur : revendues pour faire des extensions, le marché des mèches dégage un revenu de 6 millions de dollars annuels pour le temple). Puis c’est la queue à deux vitesses pour aller saluer le dieu, des heures  pour les plus pauvres.

On chemine et on s’imprègne, des odeurs, des sons – les prières lancinantes nous accompagnent et nous bercent, on s’imprègne surtout de lenteur. C’est doux et hypnotique, on aimerait que ça dure toujours. Puis on arrive face au dieu. D’un coup tout s’accélère, ça crie, ça claque des mains, les brahmanes nous pressent, vite, vite, il ne faut pas rester trop longtemps devant la statue, d’ailleurs si ses yeux sont masqués, c’est que son regard est si puissant qu’il nous brûlerait, nous, simples mortels, si jamais on le voyait en face (peut être peut-on essayer, muni de lunettes à éclipse, mais je n’oserais pas, de crainte que la lumière de Sri Balaji soit plus forte que celle de l’astre solaire).

Passons la frontière de l’état pour rentrer au Karnataka, un état pays à lui tout seul : montagnes, plateau du Deccan et la région costale de Karavali. Et là, refaisons l’histoire.

Commençons au VIIeme siècle, avec les Chalukya, pour découvrir les temples de Pattadakal, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Cheminons ensuite vers le temps de la gloire des Hoysala, en flânant dans ses anciennes cités : Halebid, promue capitale en 1070, et Belur ont construit des temples dansants, échantillons subtils de l’esprit indien, où tout se fond en un grand tout. Les divinités hindoues et jains se mélangent, semblent dirigées par un chorégraphe sensuel qui les aurait figé à jamais, l’œil s’attarde sur les courbes mouvantes de pierre noire, caresse une hanche, une main, un bijou, un sourire. On a bien l’idée de leur mettre un baiser, une à une, pour les libérer de leur sort, car elles sont vivantes, à coup sûr, mais non, on a trop peur qu’elles s’égaillent et s’enfuient à jamais, alors, égoïstement, on les laisse là, prisonnières, pour pouvoir retourner les voir un jour.

Changeons de royaume et partons à Hampi, qui s’étire le long de sa rue, majestueuse mais unique. Situé dans l'ancienne capitale du royaume de Vijayanâgara, dans la vallée de la Tungabhadrâ (les immenses rochers secs qui longent la rivière en font un site un peu irréel où les échelles se brouillent), le village de Hampi sert de paisible camp de base pour découvrir les ruines historiques. Fondé par les princes télougou en 1336, l’empire contrôlait le commerce de coton et d'épices de toute la contrée. La cité était alors fabuleusement  riche, et couvrait une superficie de 43 km²… Lorsque l'empire s'effondra au XVIe siècle, la ville fut abandonnée, laissant cet ensemble de bâtiments remarquables dans un paysage insolite et grandiose, que le voyageur déguste à son rythme.

Plus haut dans les montagnes, rejoignons Mysore, pour se plonger dans l’univers des Maharajas. Déambuler dans les salles sans fin du Palais, son univers fou, verreries, dorures, soieries, marqueteries, tables aux pieds en pattes d’éléphant, huiles géantes, ou miniatures, vaisselle, bijoux, kaléidoscope des mille et une nuits, se promener dans ses jardins et y retourner le dimanche soir, lorsque pour une heure il s’illumine de 97 000 ampoules, attirant comme des phalènes les habitants de la ville.

Et le marché. Là, tout s’échange, sur un rythme d’enfer. Des papillons, des couleurs, des parfums, des oiseaux, des roses, des poules, des paniers en osier pleins de n’importe quoi, ce qu’on peut imaginer. Les odeurs fourmillent, les chemins sont indisciplinés, tumultueux, c’est fatigant pour les narines, c’est enivrant. Les gens courent, et avec eux les parfums de ce qu’ils portent.

Les vendeurs crient, ou dorment, les odeurs de ce qu’ils vendent font avec eux la même histoire. Il n’y a pas de halte. A Mysore, il faut marcher les yeux fermés, seulement guidés par les odeurs invisibles, pour savoir où l’on est. Quel quartier. Les offrandes, des parfums, du santal, quel santal, de la nourriture, des fruits ou des légumes, lesquels. Tout peut se savoir à vue de nez, tant c’est prégnant. La lumière, cependant, finit par faire ouvrir les yeux, elle claque par saccades, rebondit et s’infiltre partout, à travers les fibres d’osier, les bâches tendues, la lumière fait voir, caresse, catalyse les senteurs cachées.