Interview avec Jean-François Rial, pdg de Voyageurs du Monde

Faut-il continuer à voyager ? Comment définir un beau voyage ? Voyager à quel prix et par quels moyens ? Jean-François Rial répond à toutes les questions (ou presque) que vous vous posez avant de partir.

Voyageurs du Monde se présente comme une entreprise engagée et vous vous définissez comme un écologiste convaincu : quels sont vos arguments face à la situation climatique et écologique de la planète pour continuer à faire prendre l’avion à vos clients ?

Faut-il continuer à voyager dans ce contexte climatique ? Cette question est de plus en plus présente dans le débat public et c’est une bonne chose. Ma réponse par le oui, sans aucune ambiguïté, mérite quelques éclairages. Envisager d’interdire le voyage en avion ou restreindre son utilisation par un système de notation sociale, comme cela existe déjà en Chine, serait un déni grave de démocratie. À l’inverse, ne rien faire au sujet des émissions de CO2 liées au transport aérien dans son ensemble, sous prétexte que d’autres activités représentent un facteur de réchauffement climatique bien pire, est tout aussi aberrant. Je suis pour une écologie des solutions.


Ces solutions existent-elles pour le transport aérien ?

Techniquement, oui. Le passage aux carburants de synthèse fait son chemin – voyez ce que propose Air France avec la contribution complémentaire volontaire. Je ne parle pas ici de l’hydrogène, une hypothèse complexe qui ne fonctionnerait que pour les vols moyen-courriers et qui ne sera pas opérationnelle dans les délais de la transition écologique recommandés par le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), à savoir réduire les émissions de 50% à l’horizon 2030 – dans sept ans – et atteindre la neutralité en 2050. Il ne s’agit pas non plus des biocarburants à base de déchets agricoles, dont les volumes sont aujourd’hui insuffisants pour espérer remplacer le kérosène, à moins peut-être d’y intégrer le recyclage d’algues marines, je laisse les experts se prononcer sur ce point. Le carburant de synthèse que j’évoque ici est un mélange d’hydrogène vert et de CO2 qui a l’avantage technique de pouvoir être utilisé sur le parc aérien mondial actuel, sans modification et dès à présent.


En tant que voyagiste, que proposez-vous concrètement ?

Nous n’avons pas attendu le signal d’alarme pour agir et nos efforts viennent aujourd’hui compléter ceux des compagnies aériennes, hôtels et loueurs de voitures dans le monde. Notre engagement se joue sur deux fronts. Premièrement, nous étudions tous les moyens en notre possession pour réduire l’empreinte carbone de nos voyageurs. Quelques exemples : nous favorisons systématiquement le train lorsqu’il représente une alternative réaliste à l’avion – typiquement sur l’Europe ; sur l’aérien, nous optons pour des vols directs, mais aussi pour les appareils les plus économes en carburant ; pour les déplacements terrestres, nous proposons, dès que cela est possible, des véhicules électriques. Sur le plan des hébergements, nous avons toujours privilégié les hôtels de petite capacité, responsables d’un point de vue environnemental et social. À la Satyagraha House, notre maison à Johannesburg, la consommation électrique est assurée à 50% par une installation solaire. Enfin, nos deux bateaux qui naviguent en Égypte – la Flâneuse du Nil et le Steam Ship Sudan – ont subi d’importantes transformations technologiques visant à réduire leurs consommations énergétiques. La Flâneuse du Nil est équipée d’une cinquantaine de panneaux solaires qui assurent dorénavant 80% de l’énergie nécessaire au bon fonctionnement du bateau, pour la climatisation, l’eau chaude et l’éclairage. À cela s’ajoute un ensemble de batteries de véhicules électriques recyclées, un ingénieux système développé par la start-up française Carwatt, qui optimise en permanence la consommation électrique, permettant ainsi une diminution des émissions de CO2 de plus de 270 tonnes par an. Sur le Steam Ship Sudan, les panneaux solaires alimentent un propulseur à double hélice. Résultat : ce navire centenaire a réduit de moitié ses émissions de C02. Un projet de refonte globale de notre système énergétique sur ce bateau est par ailleurs prévu à l’été 2024. Il permettra une nouvelle division par deux des émissions carbone.


Quel est le deuxième front d’action que vous évoquiez ?

Il s’agit d’absorber l’ensemble des émissions carbone liées à nos voyages par le biais de projets de reforestation. Un objectif que nous avons atteint désormais à 100 % et qui ne cesse de s’améliorer. Jugée insuffisante par certains, la plantation d’arbres reste pourtant l’une des solutions les plus efficaces en attendant la décarbonation du secteur aérien qui, une fois de plus, n’est pas réalisable dans le délai fixé par l’Accord de Paris. Une précision importante : pour que cette absorption soit réelle et vertueuse, les projets doivent être additionnels et pérennes. Ils ne doivent pas avoir d’autre but que la reforestation elle-même et le programme vise à s’étaler au moins sur trente à quarante ans, voire davantage. Ces plantations concernent notamment la mangrove, un écosystème dont l’intérêt est multiple : elle absorbe le carbone, désalinise, augmente la biodiversité et permet par ricochets de relancer la pêche locale. Ces projets ont donc un impact écologique, social et sociétal considérable. Ils sont contrôlés par des audits indépendants, auxquels nous participons, et s’appliquent en Amérique du Sud, en Inde, en Indonésie, via notre fondation Insolite Bâtisseur – Philippe Romero. Nous espérons influencer d’autres acteurs du secteur, et aussi que cette stratégie de plantation massive d’arbres soit étendue à d’autres secteurs que l’aérien, car les objectifs globaux du Giec pour limiter la hausse du climat, même de deux degrés, ne seront pas tenus. Il faut donc poursuivre et accélérer nos diminutions d’émissions de CO2. Je propose donc d’envisager la plantation de 300 milliards d’arbres sur dix ans à travers le monde. Cela permettrait “d’acheter du temps” et de tenir au moins cet objectif de deux degrés à défaut de celui de 1.5 degré.


Quelles sont les autres actions menées par la fondation Insolite Bâtisseur – Philippe Romero ?

Elle est présente à différents niveaux humanitaires, sociétaux et environnementaux. Voyageurs du Monde alloue désormais près de deux millions d’euros à des causes qui nous tiennent à cœur : l’aide aux migrants (avec SOS Méditerranée, le Refettorio à Paris notamment), l’éducation, le soutien aux pays du Sud et la lutte contre le réchauffement climatique.


Vous évoquez régulièrement les services Voyageurs du Monde. En quoi vous différencient-ils ?

Ces services sont le cœur de notre activité. Notre métier n’est plus d’assembler des prestations, nous sommes une entreprise de services et de conseils haut de gamme en voyage. L’extrême valeur ajoutée de ces services associée aux conseils personnalisés, fondés sur un profiling particulièrement pointu de chaque voyageur, de nos spécialistes permet de créer des voyages à contre-courant. Un exemple : nos conciergeries francophones à destination, en prise directe avec le terrain, sont capables de démêler n’importe quelle situation, mais aussi de donner des pistes à nos voyageurs pour vivre véritablement un pays. Ajoutez à cela, en amont, l’expertise d’un conseiller spécialiste de la Colombie, du Monténégro, de régions comme la Dalécarlie suédoise ou le Nordeste argentin, capable d’organiser des moments et des rencontres en phase avec vos goûts… Le risque de passer à côté de votre voyage devient quasi nul. Parmi les autres services que nous continuons en permanence à développer, je pourrais citer nos “Like a friend”, des expatriés qui accompagnent nos voyageurs dans les coulisses de leur ville, livrant au passage leurs bonnes adresses et un éclairage culturel vu de l’intérieur, que seul un habitant peut donner. Enfin, nous proposons tout un éventail de services pratiques qui facilitent la vie à nos voyageurs : assistance 24h/24, salons lounge et passage rapide des contrôles de sécurité à l’aéroport, early check-in et late check-out dans les hôtels… Enfin, nous mettons à disposition des outils technologiques nomades et utiles : une appli qui réunit tous les éléments de votre voyage et les géolocalise, avec accès à des contenus exclusifs comme une sélection de bonnes tables ; un boîtier wifi (hors Europe) pour rester connecté où que vous soyez… Cette liste de services, non exhaustive, n’existe pas ailleurs, ni à un tel niveau de qualité à ma connaissance.


Ces services ont vraisemblablement un coût qui se répercute sur le prix final de vos voyages, plus chers que ceux pratiqués chez vos concurrents, non ?

Notre rentabilité finale sur l’ensemble d’un voyage se situe autour de 3 %. Cela signifie tout simplement que le prix constant facturé pour l’ensemble de ces services est voisin de son prix de revient. Encore une fois, la réflexion vis-à-vis de nos confrères est erronée : à niveau égal de prestations, nos prix sont, à quelques pourcents près, très proches. Je ne parle pas des voyagistes qui vendent des séjours. Il faut comparer ce qui est comparable. Il en va de même sur l’analyse qui consiste à penser que passer directement par des prestataires locaux, via des plateformes, revient moins cher. Là encore, il s’agit de bien considérer ce choix. Ces agents de réservation locaux n’ont pas toujours le niveau d’expertise d’un spécialiste rompu à créer des voyages. Par ailleurs, ces entreprises ne suivent pas toujours les chartes éthiques de tourisme responsable garantissant le respect des populations et de l’environnement. Au final, ce choix s’avère voisin sur le plan budgétaire mais différent en termes de services et d’esprit. Durant la pandémie de Covid, nous avons constaté à quel point nos différents services étaient utiles pour rassurer, assister, rapatrier nos voyageurs, et notamment sur la mise en place et le suivi des hospitalisations.


L’image de Voyageurs du Monde est souvent associée à des voyages haut de gamme à des prix élevés, comment analysez-vous cette remarque ?

Je constate que c’est l’une des principales idées reçues auxquelles nous sommes confrontés. Nous sommes effectivement haut de gamme en qualité de services, mais pas en niveau de prestations dont le choix reste entièrement du ressort de nos clients. Encore une fois, nous construisons le voyage en fonction du budget de chacun de nos clients. Nous travaillons avec plusieurs milliers d’hôtels, pensions, Bed & Breakfast, ainsi qu’avec toutes les compagnies aériennes régulières, mais aussi avec des compagnies low cost lorsqu’elles desservent la destination. Certes, pour une petite partie de nos clients, le voyage se chiffre en dizaines de milliers d’euros mais a contrario, 25% de nos voyageurs partent à moins de 3000 euros par personne.


Le voyageur n’a-t-il pas tout à gagner en créant seul son voyage, sur internet, exactement à sa mesure, sans intermédiaire et donc définitivement moins cher ?

C’est effectivement une idée répandue qu’il convient d’analyser de plus près car la désintermédiation a ses limites. Autre élément important à considérer : les “coûts cachés”, ces petites sommes peu visibles lorsque vous consultez les prix des hôtels en direct mais qui finalement majorent considérablement le budget. Par exemple, les petits-déjeuners dans certains cas, des taxes de séjour locales, des assurances… Je ne parle pas des commissions facturées par votre banque à chaque paiement (jusqu’à 5%). Chez nous, tout est inclus, pas de surprise. Au final, la différence entre nos prix et un achat en direct représente un écart modéré. Ainsi, sur un voyage à 2 500 euros, cet écart atteint au maximum 300 euros. Bien entendu, plus le tarif du voyage est élevé, plus ce taux diminue. Autre élément majeur à prendre en considération : le temps nécessaire à la création d’un voyage sur mesure. La préparation d’un voyage long-courrier de dix jours et la réservation de l’ensemble des prestations nécessitent, pour un spécialiste de la destination, une cinquantaine d’heures de travail… Soixante-douze heures pour un novice ! Vous aurez alors navigué sur une trentaine de sites internet (contre quatre en vous adressant à un professionnel), passé dix appels (contre un), écrit une quinzaine de mails (contre cinq), effectué une dizaine de paiements différents pour un règlement unique et sécurisé avec nous. Mais surtout, vous n’aurez fait qu’acheter des prestations sèches, des “commodities” comme nous les appelons dans notre jargon, sans avoir eu accès au moindre conseil de spécialistes sur le choix des étapes et des hébergements en fonction du voyageur que vous êtes.

Enfin, notre valeur ajoutée n’apparaît pas toujours de façon évidente. Je m’explique : elle ne se distingue pas forcément par le montage des prestations, aujourd’hui effectivement à la portée de tout le monde ou presque, mais plutôt dans le suivi et l’attention que nous portons à chaque voyageur tout au long du voyage et même au-delà. Pouvoir compter sur notre conciergerie francophone à destination et sur notre assistance 24h/24 est un avantage qui rassure, notamment lorsque vous voyagez avec des enfants ou des seniors. Réactivité, coordination, suivi ne sont pas des arguments marketing mais bien une réalité éprouvée quotidiennement sur le terrain. L’assurance voyage que nous proposons est de ce point de vue très complète. Moins indispensables mais toujours appréciables : les petites attentions personnalisées que nous réservons sur place à nos voyageurs. Notre valeur ajoutée est finalement la partie immergée de l’iceberg qui constitue notre savoir-faire.


Les Cités des Voyageurs, vos différentes éditions, l’ensemble de votre univers reflètent une démarche profondément tournée vers l’esthétisme. Pourquoi ce choix ?

Nous revendiquons cet attachement à l’esthétisme, pour une raison évidente. Notre conception du voyage est de vous emmener au plus près de la vérité d’un pays, à l’opposé total des clichés. “Le beau, c’est la splendeur du vrai”, disait Platon. La vérité est l’ADN d’un beau voyage, un voyage cousu de belles rencontres, de beaux moments, d’émotions rares donc précieuses. L’esthétisme n’est qu’un élément de cette quête délicate du beau. Personnellement, je reste convaincu que le beau n’est pas subjectif, il est universel, comme l’est la vérité : tout le monde s’accorde devant la beauté d’un lever de soleil sur le Nil, face aux pagodes de Pagan en Birmanie. L’esthétisme que nous développons, et qui n’est que la partie émergée d’un beau voyage, n’a donc rien à voir avec le haut de gamme : il vise simplement à susciter l’émotion, comme devrait le faire un voyage, finalement.


Rechercher le beau ne revient-il pas à se situer dans la tendance bobo ?

Nous ne cherchons pas à suivre une tendance, qui par définition est périssable, mais simplement à voyager à contre-courant, à être dans la vérité, loin de la trivialité. Cela n’empêche pas d’être en phase avec l’époque, surtout lorsque celle-ci se rapproche du vrai. Si cette tendance est artificielle, elle retombera inévitablement dans le cliché. La recherche de sens s’inscrit quant à elle dans la durée. C’est d’ailleurs cette quête de vérité profonde lorsque je flâne dans un pays qui m’a toujours habité et poussé à devenir voyagiste. Appelez cela authenticité, rareté, imprévu, rencontre, intimité, chacun choisit son vocabulaire, mais ces concepts sont à l’opposé de ce qui est décrit comme “tendance”.


Quels sont les éléments fondamentaux à retenir pour réaliser un beau voyage ?

Premièrement, bien considérer tous les facteurs si l’on souhaite comparer de manière réaliste et efficace ! Deuxièmement, se passer d’intermédiaire a un impact minime au niveau du budget mais peut générer de sérieuses conséquences sur la qualité de votre voyage, nos services sont en ce sens un véritable gage de qualité. Enfin, la beauté d’un voyage tient à sa capacité à naviguer à contre-courant, à vous emmener dans la vérité d’un pays et de ses habitants. Ce à quoi Voyageurs du Monde œuvre chaque jour un peu plus.



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